Opération "Premium" ou "Hardtack 36" - Charles Trépel.
Le contexte militaire:
Dès le printemps 1943 le COSSAC (commandement suprême interalliés) planifie l'invasion de la France depuis la Grande Bretagne. Dans la continuité des opérations "Forfar" plus tôt dans l'année, le COSSAC planifie en novembre 43 deux types d'opérations de diversion visant à tromper les Allemands sur le lieu du débarquement pendant qu'opèrent en Normandie les très secrètes "Combined Operations Pilotage Parties" (COPP). Les opérations de type "Hardtack" (le nom du pain de guerre UK) étaient des opérations de reconnaissance amphibies ou aéroportées et les opérations "Manacle" visaient à reprendre des points particuliers à l'armée allemande.
Organisation:
Au sein de la 1ère Special Service Brigade, les opérations Manacle seront menées par le Commando N°4 (2 troops), et le Cdo N°10 Interalliés auquel appartient le 1er BFMC de Philippe Kieffer, est missionné pour les opérations Hardtack.
La force Hardtack amphibie, plus tard baptisée "Layforce 2" est répartie sur la côte en plusieurs détachements à Darthmouth (sud-ouest), Newhaven (sud), Eastbourne (sud-Est), logés dans des cantonnements civils.
Le mode opératoire est la mise à terre d'une dizaine d'hommes par doris puis dinghy, après une infiltration lointaine par Motor Torpedo Boat (MTB) opérés par les hommes du SBS.
La série de missions Hardtack par les commandos français.
Les premières opérations sont lancées le 23 décembre 1943 avec les raids Hardtack 11 et 23, puis reportées au lendemain pour cause météo. Sur les 10 raids assignés aux Français, 7 pourront permettre la mise à terre des commandos. Le premier raid Hardtack 11 virera au drame avec la noyade des 6 hommes (PM Wallerand, SM Caron, QM Meunier & Pourcelot, Mo Madec et Navrault).
Pour mémoire, les raids réalisés en décembre 1943 sont : H11 à Gravelines (6 morts), H4 au Tréport, H13 à Bénouville, H21 à Quineville, H7 à l'île de Sark (2 morts), H28 à Jersey (1 mort).
Les raids planifiés en janvier 1944 seront tous annulés en raison de la météo ou par ordre du COSSAC : H26 Middelklerke, H14 Berk, H19 Le Touquet, H24 Utah Beach, H27 Morsalines-la-Belle-Croix.
Cadre de mission de l'opération Premium (Hardtack 36).
Cette opération de reconnaissance spéciale visait à préparer l'insertion et l'action d'agents de renseignement sur la côte hollandaise au nord de La Haye et du port de Scheveningen, au lieu-dit Wassenaar : possibilité de pénétrer le dispositif ennemi sans être détecté, identification des obstacles et recherche d'un point du terrain utilisable par les agents, temps d'infiltration nécessaire pour y parvenir ainsi que la reconnaissance du canal de Aankver où un point de franchissement serait à identifier.
Partant du port de Great Yarmouth (Est de l'Angleterre, près de Norwich) l'équipe est réduite, 6 hommes de la Troop 8 : le capitaine Charles Trépel, le SM Hagner, les QM Guy, Rivière, Devillers et le Mo Cabanella.
Cette opération avait fait l'objet d'une tentative précédente sous le nom de code "Madonna Able" dans la nuit du 26 au 27 octobre 1943. L'équipe du Cdo N° 10 n'avait pas pu localiser son point d'insertion à cause d'une avarie de compas.
NDLR: Les archives historiques de la marine britanniques sont contradictoires en deux points avec le témoignage de M.Chauvet ci dessous, sur une première tentative préalable du raid et sur la date même du raid. En effet, la flottille des MTB était engagée la nuit du 23 au 24 sans commando à son bord et déplora des pertes mentionnées par Maurice Chauvet dans son récit. Le rapport britannique cite que La flottille de MTB rentre à quai à Great Yarmouth le 24 matin et la MTB 617 repart à 16h00 après avoir embarqué l'équipe de Trépel. Il lie l'embarquement, la dépose et la suite du déroulement tragique des évènements. Il est probable que la nuit du raid soit mal daté dans le rapport des MTB car les archives du No 10 Cdo font référence au 28 février.
Récit de l'opération par Maurice Chauvet (1er BFMC - Troop 8).
(...) "Le capitaine Trépel et son groupe, pour des raisons de sécurité, avaient porté à Great-Yarmouth, la tenue de marine des F.N.F.L. Leur préparation avait été un modèle de précision. Le raid était dirigé sur un point de côte de Hollande, au nord de Schevenonger. Une première tentative fut faite une nuit, entre le 20 et le 25 février, mais n’aboutit pas, la M.T.B. portant le groupe parti dans une flottille se heurta au large à un groupe de vedettes allemandes; échange de coups de feu, un mort sur un des ships anglais et, naturellement, retour à la base.Une nouvelle tentative eut lieu dans la nuit du 27 au 28 février 1944. Cette fois, seule une M.T.B. prit la mer. Au large des côtes, elle tomba sur un groupe de bateaux allemands escortés et se glissa, inaperçue, dans la queue du convoi. Arrivée en face du lieu de débarquement, elle stoppa. Le doris fut mis à l’eau. De la côte, une série de fusées signal s’élevèrent, certaines étaient même des fusées parachutes au magnésium. Des témoins affirmèrent plus tard que le bateau anglais avait dû être visible de terre, mais Trépel était déjà prêt au départ, il était là pour ça et certainement aucune circonstance extérieure n’aurait pu lui faire renoncer à ce projet. Tout d’ailleurs se passa comme prévu. Le capitaine Trépel était fort joyeux.À quelques centaines de mètres de la côte, l’équipe de six hommes passa sur le dinghy et s’enfonça à la pagaie dans la nuit. Puis plus rien. Le doris attendit jusque vers 4 heures du matin. Déjà l’aube allait venir et les deux hommes qui le montaient durent regagner la M.T.B. Voyant le canot s’approcher, le radio français resté à bord, croyant à un heureux retour, commença à plaisanter avec son émetteur, mais bientôt l’on s’aperçut qu’il ne restait que deux hommes sur huit. Un des garçons resté sur la M.T.B. affirme avoir entendu un cri à terre après le départ du groupe.Le groupe débarqué était muni d’un poste de radio, mais aucun message ne fut entendu. Le message joyeux de Bougrain au retour fut peut-être capté par un Allemand en possession du poste.Après la libération de la Hollande, une enquête fut faite, sans résultat. Ce n’est qu’en juin 1945 que six corps furent retrouvés, tout près du lieu du débarquement. L’un d’eux s’était noyé, les cinq autres étaient morts de blessures (“exposures”, dit le texte anglais).
Ils furent identifiés et le corps du capitaine Trépel repose au milieu de ses compagnons au cimetière britannique de Wistdvin, près de La Haye, sous le N° 78. Des informations de source autorisée permettent de penser qu’ils avaient été suppliciés. L’on ne saura jamais comment ils rencontrèrent leur destin. Charles Trépel, capitaine-commando était entré dans l’Histoire" (...)
Eléments d'informations issus des archives locales et allemandes:
(...) Le matin du 29 février (NDLR : la nuit suivante de l'insertion des commandos) , l'occupation du Stützpunkt XXXVIIH est alertée par des cris en mer. Quelque temps plus tard, les soldats allemands découvrent un canot pneumatique chaviré qui flotte jusqu'à la plage et contient trois corps sans vie. Apparemment, la mort vient tout juste de survenir, car les Allemands tentent toujours de réanimer les noyés. Un quatrième corps échoue plus tard dans la journée. Dans les jours suivants, deux autres corps échouent au sud du Wassenaarse Slag.
Ils sont enterrés près du lieu du drame en tant que "aviateurs anglais" (...)
Une stèle est érigée sur la dune de Wassenaar au point d'insertion de l'équipe.
En leur honneur, la cérémonie du ravivage de la Flamme pour tous les morts et disparus de la FORFUSCO se déroule tous les ans le 18 février.
Eléments biographiques du capitaine Charles Trépel:
Né le 21/09/1908 à Odessa (Russie) il est diplômé de la London School of Economies, parle le français, l'anglais, le russe et l'allemand et exerce la profession d'administrateur de société. Il entre en service le 13 septembre 1939 dans l'artillerie, matricule 54454, et devient sous-lieutenant puis lieutenant en juin 40. Il se spécialise dans l'antichar. Il fait la campagne de la Somme où il est blessé lors du bombardement d'Etampes le 6 juin 40. Mi-août il est démobilisé. Il fuit la France en juin 41 pour l'Espagne où il est emprisonné puis s'évade mi-août 41. Il rejoint Liverpool par bateau le 12 octobre 41 et s'engage dans les FFL. Après différents postes, il demande une mutation dans la marine en juillet 42, qui lui est refusée compte-tenu de sa spécialité antichar, très précieuse pour l'armée.
Il est finalement détaché aux FNFL à compter du 1er juillet 42 et effectue son stage commando à Achnacarry avec son détachement composé de volontaires de l'armée de terre, probablement mi-juin 42.
Le lieutenant Trépel figure dans la liste du personnel de la Troop 1 au 1er juillet 42. Il y est le second du lieutenant de vaisseau Kieffer. Il est gravement blessé en mars 1943 lors d'un entrainement de raid (arrachement du triceps gauche).
Lorsque qu'est formée la Troop n°8 (juin/juillet 43), il en prend le commandement en tant que capitaine.
Il est porté disparu avec 5 de ses hommes lors de l'opération "Premium" sur les côtes Hollandaises à Wassenaar, au nord de La Haye.
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Compilation historique par Pierre Roty
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