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De Benoît Rouquayrol à Emile Gagnan : l'invention du scaphandre autonome


D’un côté, un officier de marine, de l’autre, un ingénieur. L’histoire se répètera deux fois. En 1864, le lieutenant de vaisseau Auguste Denayrouze fait appel à l’ingénieur Benoît Rouquayrol pour adapter à la plongée sous-marine un appareil au départ conçu pour les mineurs. Il s’agit d’une réserve d’air comprimé avec deux tuyaux, mais son autonomie est limitée à une demi-heure, à dix mètres de profondeur. Près d’un siècle plus tard, en 1943, c’est à l’initiative du commandant Jacques-Yves Cousteau que l’ingénieur Émile Gagnan s’empare du projet et met au point un système standardisé équipé d’un détendeur automatique fiable et de bouteilles d’air comprimé. Révolutionnaire.

©MN


Quand il franchit la coupée du Condor- cet, un cuirassé de 18000 tonnes où il vient d’être affecté comme officier canonnier en 1936, Jacques-Yves Cousteau (1910-1997) est loin de se douter qu’une rencontre à bord va donner un nouveau sens à sa vie. Entré à l’École navale six ans plus tôt, le jeune homme a suivi jusqu’ici un parcours sans faute. Bordache bien classé et apprécié par ses supérieurs, il sert d’abord comme enseigne sur le croiseur-école Jeanne d’Arc, puis sur le croiseur de 8000 tonnes Primauguet qu’il quitte à Saïgon avec l’idée de rejoindre l’aéronavale. Mais à son retour en métropole un accident de voiture met un coup d’arrêt à son rêve de devenir pilote. Grièvement blessé au bras et à la poitrine, il songe un temps à quitter la Marine, puis se résout à rallier le Condorcet.


INVENTEUR ET VISIONNAIRE

Un soir, alors qu’il dîne au carré, il fait la connaissance de Philippe Taillez. Un peu plus âgé que lui, l’homme est officier torpilleur, nageur et chasseur sous-marin chevronné. Entre les deux marins qui partagent la même passion pour la mer et le cinéma l’entente est immédiate ; très vite, ils décident de plonger ensemble. Mieux équipé que lui, Taillez s’est offert des lunettes étanches Fernez, du nom de l’ingénieur Maurice Fernez, inventeur avec le capitaine de frégate et visionnaire Yves Le Prieur d’un scaphandre autonome breveté en 1926. Pour Cousteau, qui les essaie pour la première fois, c’est un choc. Derrière les verres renforcés, il peut regarder sans ciller l’extraordinaire foisonnement de la vie marine des côtes de la Méditerranée. Dans un éclair d’argent passe un sar, puis un denti qui disparaît dans un herbier… Il est émerveillé et dès qu’il le peut, avec Philippe Taillez, puis Frédéric Dumas, autre un chasseur sous-marin qui se sert d’un masque et d’un tuba, il explore sans relâche les criques et les tombants de Bandol à Toulon en passant par Sanary-sur-Mer et Les Embiez. Toujours plus attirés par les pro- fondeurs, les trois amis s’équipent du système Le Prieur-Fernez dans sa version complète adoptée par la Marine en 1935. Grâce à l’invention du détendeur de plongée par le docteur Manuel Théodore Guillaumet en 1838, du recycleur doté d’une réserve d’oxygène par Pierre-Amable de Saint Simon Sicard en 1849 et du détendeur Rouquayrol-Denayrouze, destiné à équilibrer la pression d’air de la réserve d’air comprimé avec la pression de l’eau environnante, en 1864, c’est la première fois que des plongeurs ne dépendent plus directement de la surface pour respirer sous l’eau.


ALIMENTATION MANUELLE

Avec son masque facial étanche et son réservoir d’air (une bouteille d’air comprimé Michelin destinée initialement au gonflage des pneumatiques) porté sur le dos qui fournit un flux continu à l’aide d’un embout buccal spécifique, ils sont libres de leurs mouvements. La pression du gaz est réglable par un régulateur équipé de deux manomètres : l’un pour la pression du réservoir et l’autre pour la pression de sortie. Toutefois, l’air étant libéré à débit constant par une valve manuelle, le plongeur doit ajuster lui-même son alimentation en fonction de ses besoins, ce qui entraîne mécaniquement une perte importante d’air comprimé pendant la durée de ses expirations. Une autre invention, les palmes souples en caoutchouc imaginées en 1914 par le capitaine de corvette Louis de Corlieu qui les perfectionne entre 1924 et 1933, leur permet désormais de se déplacer dans l’eau non plus de manière verticale comme les scaphandriers, mais de manière horizontale.


© MN


EN « CONGÉ D’ARMISTICE »

Ainsi dotés, Cousteau, Dumas et Taillez sillonnent régulièrement les hauts fonds de la région toulonnaise et multiplient les essais de matériel. Mais l’entrée en guerre de la France les sépare. Envoyé au service de renseignement de la Marine, Cousteau reste à Toulon et participe notamment au bombardement naval français de Gênes le 14 juin 1940. Mis en « congé d’armistice» après la défaite et le sabordage de la flotte, il cherche toujours un moyen de perfectionner le scaphandre autonome Le Prieur-Fernez, mais bute sans cesse sur la question de l’alimentation automatique en air. À la recherche d’une solution de même nature, Georges Commeinhes, un autodidacte passionné de chasse sous-marine et inven- teur d’un appareil respiratoire destiné aux pompiers associant le détendeur Rouquayrol et Denayrouse et la bouteille Le Prieur, parvient de son côté à mettre au point une version amphibie qui sera agréée par la Marine nationale. Puis, en 1942, il dépose le brevet d’un appareil de respiration autonome en milieu liquide sous pression, qu’il nomme GC42. Très novatrice, son invention lui permet de plonger à 53 mètres le 30 juillet 1943 à Marseille. Malheureusement il est tué au combat en 1944 pendant la libération de Strasbourg et son détendeur tombera dans l’oubli.


L’autre rencontre décisive, après celle de Philippe Taillez, sera celle de l’ingénieur Émile Gagnan. C’est le beau-père de Jacques-Yves Cousteau, Henri Melchior, contre-amiral retraité devenu directeur de la société Air Liquide, qui va le lui présenter en pleine Seconde Guerre mondiale. Comme Georges Commeinhes, le jeune ingénieur travaille sur un prototype du détendeur Rouquayrol-Denayrouze destiné, en ces temps de pénurie d’essence réquisitionnée par l’occupant allemand, à alimenter les moteurs de voiture fonctionnant au gaz. En décembre 1942, les deux hommes se rencontrent à Paris et se comprennent si bien qu’Émile Gagnan commence à étudier une version miniaturisée adaptée à la plongée. En attendant, le trio Tailliez-Cousteau-Dumas, bientôt connu sous le nom de « Mousquemers », aidé par l’officier mécanicien Léon Vêche, tourne en apnée l’un des tout premiers films sous-marins français : Par dix-huit mètres de fond. Le 4 juillet 1943 à la plage du Barry, à Bandol, ils testent en mer le nouveau détenteur que l’ingénieur a réussi à mettre au point grâce aux modifications suggérées par Cousteau. Baptisé détendeur « Cousteau-Gagnan», il fonctionne automatiquement et à la demande. L’aspiration de l’air par l’embout buccal ouvre la valve retenant l’air comprimé, tandis que l’expiration la referme, sans aucune perte d’air pendant la durée des expirations.



PARI GAGNÉ

Plus léger et alimenté par des réserves d’air comprimé plus importantes que celle du sys- tème Le Prieur-Fernez, ce système libère entièrement les deux mains du plongeur qui n’a plus à actionner de manette extérieure. Grâce à ce nouvel équipement et au financement de l’entreprise de renflouage marseillaise Marcellin, les « Mousquemers » tournent le film Épaves par près de 62 mètres de profondeur. Une fois le conflit terminé, le capitaine de corvette Cousteau et Émile Gagnan déposent le brevet de leur invention en 1945 sous les noms de « scaphandre Cousteau-Gagnan», « CG45 » et « Aqualung », pour l’exportation. La commercialisation du premier scaphandre autonome standardisé à l’air de l’Histoire débute l’année suivante, en 1946, lorsque les deux hommes fondent une division d’Air Liquide spéciale : la Spirotechnique. En concentrant le meilleur de la technologie des années 40, leur appareil ouvre la voie à l’exploration des océans et à de nombreuses innovations qui, peu à peu, vont démocratiser la plongée sous-marine civile et offrir de nouvelles perspectives à ses applications militaires.


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Source: Cols Bleus



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