Son corps est là.
Mais lui, il est resté là-bas.
La guerre l’a suivi. Cachée dans chaque silence.
Tapie dans chaque nuit blanche.
Elle est dans ses muscles tendus quand une porte claque trop fort.
Dans son regard qui scanne chaque foule, chaque ruelle, chaque visage inconnu.
Dans ses poings qui se serrent sans qu’il s’en rende compte.
Le jour, il sourit. Il blague. Il fonctionne.
La nuit, il est ailleurs.
Il entend encore les tirs.
Il sent encore la chaleur du sable sous ses genoux.
Il revoit des visages qui ne sont plus là.
Il sent encore l’odeur du sang, de la poudre, du métal brûlé.
Puis il ouvre les yeux.
Chambre noire. Silencieuse.
Trop silencieuse.
Il pose les pieds au sol, les mains tremblent.

Mais de quoi, au juste ?
Il ne sait plus.
Là-bas, il savait quoi faire.
Il avançait. Il exécutait.
Pas le droit d’hésiter.
Un ordre. Une action. Un objectif.
Puis un jour, tout s’arrête.
Et c’est là que la vraie guerre commence.
Moi aussi, en 2008, une partie de moi est restée en Afghanistan.
80 kg d’explosifs.
Une fraction de seconde.
Un souffle monstrueux.
Et plus rien.
Le corps rentre.
Mais pas l’âme entière.
Et après ?
On ne t’apprend pas à vivre avec ce qui manque.
Personne ne te prépare au moment où le silence devient plus oppressant que les tirs.
Personne ne te dit que le vrai combat, c’est celui que personne ne voit.
Aujourd’hui, on reconnaît mieux ces blessures.
Les mentalités évoluent. Les prises en charge aussi.
Mais combien tombent entre les mailles du filet ?
Combien finissent par se battre seuls ?
Combien finissent par perdre cette dernière bataille ?
On devrait en parler.
Beaucoup plus.
Parce qu’au fond, la vraie résilience, ce n’est pas d’oublier ce qu’on a laissé là-bas.
C’est d’apprendre à avancer, même sans cette partie de soi.
Témoignage de Laurent Bernat. Survivant en Afghanistan
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