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Le lien à la violence des commandos Marine

Les commandos Marine forment une élite dont l’histoire comme l’actualité montrent leur engagement dans les opérations les plus sensibles. On conçoit aisément leur exposition à la violence de la guerre comme leur capacité à la délivrer en professionnels accomplis. Mais leur lien à la violence s’arrête-t-il à l’espace-temps des opérations extérieures ? Les psychologues marins en charge de leur sélection et de leur suivi psychologiques sont les témoins privilégiés de la place du thème de la violence au sein de la subjectivité de leurs investissements, de leurs représentations et de leurs vécus professionnels. Sans être jamais tout à fait le même, ce lien existe pour chaque commando Marine tout au long de son parcours institutionnel.




Dans l’imaginaire collectif, les « commandos » sont associés à beaucoup de fantasmes dont les plus caricaturaux en font volontiers des surhommes, plus aptes que quiconque à se confronter à la violence des combats les plus durs. Toute caricature possède un ancrage dans le réel et cette question de la violence ne leur est pas associée indûment. Psychologue clinicien auprès de la force des fusiliers marins et des commandos Marine pendant seize années, j’ai pu observer combien cette thématique de la violence leur est en définitive intimement liée à travers tout le spectre de leur existence professionnelle.


Un supplément d’identité


Que vient chercher un jeune homme qui se porte volontaire pour l’impitoyable stage commando ? On pourrait émettre l’hypothèse qu’il souhaite in fine la confrontation avec des missions potentiellement d’une extrême violence. Ou, à défaut que cela soit sa première attente, imaginer que cela fasse nécessairement partie des motivations indispensables à une bonne candidature pour une telle orientation. L’approche généralisée des motivations est un exercice périlleux car celles-ci sont bien sûr multiples d’un candidat à un autre, comme elles le sont aussi au sein de l’ensemble complexe d’investissements et d’aspirations personnels d’un même individu.


Crédit photos: Largo


Or l’expérience montre que pour un jeune volontaire commando, la violence ne constitue pas un but mais un moyen. En effet, au cœur de motivations viables, une telle démarche s’inscrit nécessairement dans une quête identitaire. Et il arrive que cette dernière ne soit pas inconsciente. Quoi qu’il en soit, c’est bien parce que les commandos Marine sont destinés à des situations extrêmes qu’il est valorisant d’en faire partie. Car cela suppose un ensemble de sélections et de formations qui conduisent vers l’appartenance à une élite. Les jeunes candidats qui sont présélectionnés au service local de psychologie appliquée (slpa) de Lorient déclarent non pas vouloir exercer le métier de commando, mais plutôt chercher à « devenir », à « être » commando Marine. Le port du béret vert offre ainsi un supplément d’identité qui puise sa substance dans une mythologie inextricablement liée à un idéal de force et de bravoure face au danger.



Quel profil ?


Y a-t-il un profil psychologique spécifique requis pour devenir commando Marine ? Si celui-ci existait, il comporterait logiquement une aptitude particulière de résistance et de résilience face aux violences du combat. En fait, il suffit de connaître les hommes d’un groupe d’action spécialisée (gas) pour se rendre compte que ce n’est pas le cas. Certes les différentes strates de sélection qui jalonnent le parcours entre l’entrée dans la Marine et l’obtention du certificat commando créent nécessairement un filtrage propice à écarter des sujets vulnérables, y compris sur le plan psychologique. Pour autant, on a pu observer qu’une personnalité pathologique compensée pouvait franchir toutes les étapes de cette sélection – une personnalité pathologique n’est bien sûr en rien exclusive de la présence par ailleurs de grandes qualités…


Ce profil de personnalité spécifique initial n’existe donc pas, mais les qualités dont doivent faire preuve ceux qui réussissent le stage commando vont servir de socle pour recevoir d’autres ingrédients de ce qui conditionnera en mission leur valeur dite « morale ». Ces ingrédients sont bien connus par tous les régiments de combattants, dans les forces spéciales comme conventionnelles. Il s’agit principalement de la formation, vecteur d’assurance, de la qualité de l’encadrement, qui assure la confiance envers le commandement, et de la cohésion, qui décuple la force d’un groupe. Lorsqu’une unité parvient à exceller dans ces trois domaines, on conçoit facilement que les hommes qui la composent aient développé de grandes capacités à affronter les exigences du combat. Tous les commandos Marine ne sont donc pas hors norme. Ce qui rend hors norme un groupe commando est en quelque sorte l’existence d’un niveau plancher, d’un seuil élevé de qualités physiques et de capacité de mobilisation de ses ressources au-dessus duquel se situe chaque individualité.



Crédit photos: Largo


Corps et âme


S’il n’existe pas un seul type physique chez les commandos Marine, tous doivent cependant présenter un point commun dans ce domaine : il leur faut disposer d’une bonne capacité à supporter la violence imposée à leur corps. Leur formation comme leurs missions l’exigent. Le stage commando constitue une expérience extrême en la matière. Les élèves commencent normalement les épreuves de sélection au top de leur condition physique et voient rapidement cette dernière se dégrader. Avec l’enchaînement des marches et des parcours, chacun souffre. La privation de sommeil et le froid continuels achèvent de mettre à l’épreuve les postulants qui se déplacent à l’image de vieillards après une dizaine de jours de ce traitement spécial. Certains jeunes engagés venus avec l’idée de devenir avant tout des sportifs de haut niveau ne tolèrent pas la pratique d’épreuves physiques en étant diminués par les tendinites, les ampoules et autres désagréments qui donnent le sentiment d’abîmer (temporairement) son corps. Ceux qui d’emblée ont pleinement intégré la dimension rustique et combattante de leur futur métier vivront cette violence faite au corps comme le cheminement naturel pour intégrer l’élite briguée.


Par la suite, ils resteront évidemment exposés aux risques de l’entraînement et des missions. Si l’on pense spontanément aux accidents ou aux conséquences des combats, on perçoit plus rarement une autre forme de risque plus insidieuse : les dégradations physiques d’usure qui parfois entament progressivement mais définitivement le corps. Ce sont le dos ou les genoux qui se détériorent le plus fréquemment sous l’effet répété du poids très élevé de l’équipement individuel. La passion pour leur spécialité associée à cette sorte de tolérance vis-à-vis des violences imposées au corps conduit alors certains commandos à faire le choix déraisonnable du métier contre celui de la santé. Au beau milieu de ce dilemme, l’un d’entre eux me rétorqua que vouloir devenir commando Marine n’était en soi de toute façon pas raisonnable.


Crédit photos: Largo


Défenses


À l’instar des motivations, les défenses psychiques des commandos Marine ne forment évidemment pas un ensemble parfaitement homogène, aux frontières bien tracées et ne souffrant pas d’exception. Cependant, l’expérience des trajectoires individuelles et la connaissance de leur culture d’unité permettent d’identifier la dénégation comme mode préférentiel de défense psychique face à l’adversité. Les formules clamant « jamais froid, jamais faim, jamais mal » ou affirmant que « la douleur est une information » illustrent, mais aussi façonnent pour une part le rapport à la souffrance. Avec humour, la psychologie individuelle est volontiers réduite à un organe qui pourra être soigné par de la « Moraline » ou du « Motivex », médicaments imaginaires dont seul l’instructeur commando maîtrise parfaitement les indications. S’appuyant sur « un muscle et deux cerveaux », désignant respectivement sa tête et ses deux biceps, le fusilier marin commando fait mine de penser qu’il est infaillible psychologiquement. Tous les adages d’un milieu professionnel sont éclairants si l’on veut bien les entendre avec la distance nécessaire.


Rarement une posture. Cette façon d’aborder la souffrance ou la difficulté fonctionne plutôt comme une sorte de prescription sociale pour faire face aux exigences de la vie de commando. Ce mode de défense psychique est efficace dans une certaine mesure. Cependant, il présente l’inconvénient potentiel de se retourner contre le sujet qui parvient aux limites de ce qu’il peut supporter psychologiquement. Quand un combattant est en grande souffrance, nier à tout prix celle-ci ne fera que l’enfermer dans une répétition ou une inertie pathogènes. Il convient alors de faire appel à d’autres modes de réaction face aux difficultés, ce que certains font spontanément alors que d’autres peinent à délaisser un mode de défense qui leur avait bien réussi par le passé. Ici, l’aide du psychologue peut être déterminante dans la trajectoire du sujet.


Perméabilité


Déployés sur un théâtre d’opérations, les commandos Marine n’échappent bien sûr pas aux risques psycho traumatiques. Il n’existe cependant aucune étude qui montre une plus faible ou une plus forte prévalence d’état de stress post traumatique (espt) chez cette population par rapport à d’autres unités de combat. Si l’on veut bien ne pas réduire la souffrance du combattant au seul périmètre du syndrome post traumatique, il est intéressant d’analyser où peuvent se situer les points de sensibilité.


En opération, on peut notamment observer l’accroissement soudain d’une perméabilité psychique aux violences de la guerre lorsque celles-ci sont perçues sans le prisme du professionnel en action. Par exemple, le cas du regard porté sur les exactions commises par l’adversaire à l’encontre de civils une fois l’action offensive terminée. Le temps n’étant alors plus celui de l’urgence et des pensées tactiques, le commando devient plus vulnérable aux horreurs des combats qui heurtent forcément les valeurs du citoyen français qu’il est.


Le contre-emploi, du moins ce qui est vécu comme tel, peut se révéler réellement pénible pour des combattants pourtant préparés à affronter un niveau de difficultés a priori bien supérieur. Citons l’exemple de ce groupe de commandos mécontents d’avoir été employés de jour avec des déplacements en véhicules blindés alors qu’ils estimaient que le théâtre d’opérations justifiait des infiltrations pédestres nocturnes où ils auraient été plus efficaces. Ils n’ignoraient bien sûr pas que le danger eût été plus grand, mais une logique plus offensive, de « chasseur », leur paraissait plus adaptée à leurs compétences et plus conforme à leur identité.


Il peut aussi être psychologiquement difficile de ne pas pouvoir aller au bout de son action. Je pense à ce tireur de haute précision (thp) qui, au terme d’une opération extérieure de six mois, vivait douloureusement le fait de ne pas avoir pu faire usage de son arme. Une interprétation hâtive et caricaturale de ce vécu pourrait faire craindre chez le quidam, un fou de la gâchette, un militaire sanguinaire… Je n’ai jamais croisé un seul commando Marine se situant dans ce registre grossier au cours des nombreuses années passées à leur service. L’écoute de ce thp révélait bien au contraire la subjectivité d’un professionnel ayant besoin de concrétiser son action pour avoir sa place dans un conflit meurtrier pour nos soldats et pour qu’ainsi prennent sens tous les efforts consentis au cours de son long parcours de formation et de ses nombreux mois d’éloignement familial.


De retour


Le retour en famille après mission ne constitue pas nécessairement l’épisode de bonheur inconditionnel que l’on imagine a priori. C’est parfois même un moment vécu très violemment sur le plan affectif par le combattant comme par sa compagne. Quand le militaire a accumulé plusieurs mois d’intenses tensions psychologiques, celles-ci ne disparaissent pas d’un coup, rendant les retrouvailles risquées sur le plan relationnel durant quelques jours voire quelques semaines. Car, de son côté, le conjoint peut avoir aussi accumulé beaucoup de frustrations. Et pour être plus précis, ce ne sont pas les retrouvailles en elles-mêmes mais plutôt le retour en famille dans la durée qui peut être le terrain de vives tensions, parfois destructrices pour le couple. En effet, passée l’euphorie du retour au foyer, vient le temps du quotidien qui sera perçu comme d’autant plus décevant qu’il aura été idéalisé de part et d’autre.


Ce qui frappe dans le cas des commandos Marine, c’est finalement le décalage potentiel entre leur capacité à réaliser des opérations générant une énorme pression psychologique et la difficulté parfois à gérer dans la foulée celle de la réintégration du foyer. En d’autres termes, ce n’est pas parce que l’on est capable de mener un assaut très périlleux avec un impressionnant sang-froid que l’on sera en mesure, une fois rentré à la maison, de faire apprendre sa poésie à son fils sans sortir de ses gonds.


Psychothérapies


La confrontation aux violences de la guerre peut blesser sévèrement le psychisme de tous ceux qui en sont témoins, victimes ou acteurs. Eu égard à leurs missions, les commandos Marine constituent objectivement une population à risque sur le plan des troubles post traumatiques. Afin de prendre en compte ces risques avec un maximum d’efficience, le slpa Lorient met en œuvre un dispositif de suivi psychologique spécifiquement conçu pour ces combattants.


Crédit photos: Largo


Le principal enjeu est en définitive celui de l’accessibilité à une démarche psychothérapique. Pour différentes raisons évoquées précédemment, de multiples écueils jalonnent le cheminement d’un commando vers le bureau d’un psychologue. Censé incarner un idéal de force, ce combattant en souffrance peut ressentir comme une intime contradiction le fait de dire sa fragilité.


Ce dispositif s’articule en trois temps : celui de l’information, celui du retour de mission et, enfin, celui du long terme. Le temps de l’information repose sur une série d’actions de sensibilisation aux risques psycho traumatiques, essentiellement par le biais de conférences intégrées aux différentes formations des fusiliers marins. Le but de ces démarches vise à battre en brèche le triste cliché selon lequel le traumatisme psychique serait l’apanage des « faibles » pour lui donner dans les mentalités sa véritable place de risque professionnel. La deuxième phase clé du dispositif est celle des bilans post-opérationnels. Il s’agit d’entretiens psychologiques programmés au retour des missions où les commandos ont été confrontés à un ou des événements dits potentiellement traumatiques. C’est l’exposition à un événement qui crée l’indication de ces bilans psychologiques individuels auxquels tous les membres d’un détachement sont conviés, sans distinction de grades ou de fonctions. Garantie est donnée à chacun que rien ne sortira du cadre de l’entretien clinique sans son consentement. La vocation de cette démarche est d’optimiser réellement les chances qu’un combattant s’autorise à confier à un spécialiste ses difficultés psychologiques le cas échéant. Le dernier temps du suivi réside dans une offre de consultations psychologiques permanente et de proximité. Ces deux dimensions sont aux fondements de l’efficacité de ce dispositif global de suivi.


Crédit photos: Largo


Autrefois réticents, on peut affirmer qu’aujourd’hui les commandos Marine ont bien intégré dans leur environnement professionnel la place des psychologues marins. En augmentant la précocité des prises en charge psychologiques, on améliore le pronostic d’évolution d’un syndrome post traumatique. La totale confidentialité des bilans post opérationnels et des consultations psychologiques permet dans un premier temps aux commandos de s’ouvrir au spécialiste sans crainte que la situation ne leur échappe, notamment en termes d’incidences sur leur aptitude. Dans un second temps, une fois inscrit dans une relation de confiance et en ayant avancé dans le processus psychothérapique, il devient possible pour le sujet de porter certaines données à la connaissance du médecin, voire même de son commandant. Initialement inconcevable, cette communication à son autorité d’une situation personnelle critique, nécessitant par exemple une pause opérationnelle, est habituellement vécue comme un soulagement. Bien que cela soit paradoxal, l’expérience démontre que cette garantie de confidentialité augmente les signalements « spontanés » de difficultés individuelles au service médical et au commandement.


Crédit photos : Largo


Nombre de demandes personnelles de prises en charge psychologiques surviennent dans des moments de transition institutionnelle, le plus souvent quand le sujet connaît une sortie de groupe au sens le plus large. Il peut s’agir d’un changement du groupe de commando (gas) avec lequel on a vécu des moments critiques que l’on pense difficilement partageables. Mais cela s’observe tout autant lors d’un changement d’affectation hors commando ou même d’un départ de la Marine. On mesure ainsi à quel point le groupe possède un effet contenant pour les commandos Marine souffrant d’un traumatisme psychique. Le besoin de reconnaissance se fait alors plus avide que jamais, et ce d’autant plus que la violence vécue aura été importante.


Fil rouge


Comme un fil rouge, la question de la violence imprègne directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, la vie des commandos Marine au cours des différentes étapes de leur évolution professionnelle. De leur capacité à franchir chacune de ces étapes dépendra leur réussite, mais aussi leur épanouissement bien au-delà de la sphère institutionnelle. Ce qu’ils sont amenés à accomplir dans le cadre de leurs missions justifie pleinement l’aura qui est la leur. Toutefois, le regard du psychologue, s’attachant par définition à rester aussi bienveillant que dénué d’idéalisation, ne peut conclure à l’existence d’indispensables prérequis psychiques hors du commun pour intégrer cette composante marine des forces spéciales. C’est bien l’univers des commandos Marine dans son ensemble, en tant que vecteur de compétences mais aussi d’identité, qui constitue l’espace de conjugaison des qualités et de la volonté nécessaires pour appartenir à cette élite. Une élite finalement faite d’hommes « normaux » incarnant des professionnels d’exception.


Crédit photos: Largo



Article de Jacques Brélivet


Psychologue clinicien, Jacques Brélivet a servi seize années auprès de la Force des fusiliers marins et des commandos. Il a été un des acteurs majeurs dans l’élaboration des processus de sélection et de suivi psychologiques qui ont cours actuellement. Le commandement des opérations spéciales a sollicité à plusieurs reprises son concours en interarmées dans le cadre des déploiements menés en Afghanistan puis au Sahel.




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